Activate Javascript or update your browser for the full Digital Library experience.
Previous Page
–
Next Page
OCR
gee
bovee
{
}
{
i
Ce Ae RRR OY
Le Théatre lEté
*ar vu le temps — un temps déja lointain — ott la sai-
=” son d’été, pour les théatres, ne se différenciait de la
saison d’hiver que par une diminution de recettes.
Tous restaient ouverts; les troupes demeuraient au
grand complet. Peut-étre hasardait-on moins volon-
- tiers une nouveauté. importante, les directeurs
vieux jeu, les vrais directeurs, les Montigny pas-
saient outre a cette considération, quand ils avaient
une bonne piéce et le public accourait. Larecette du
samedi montait au maximum ; on faisait 4 peu prés
les frais des autres jours. Il n’y avait pas a cette
époque de cafés-concerts en plein air; l’habitude n’avait pas
encore été prise par la population de s’éparpiller pendant les
mois d’été, les uns a la campagne, les autres aux bains de
mer ou dans des villes d’eau.
Ces mceurs ont changé a mesure que croissaient la rapidité et
la facilité des communications. La révolution s’est faite sous
Empire. Les théatres ont tous, Jes uns aprés les autres, pris ’ha-
bitude de fermer au 1 juillet; quelques-uns méme au 15 juin,
tous n’ont rouvert qu’en septembre, quelques-uns méme qu’au
15 ou au 20. L’Odéon, lui aussi, et l’Opéra-Comique ont
suivile mouvement. I] n’est plus resté sur la bréche que l’Opéra
et la Comédie-Frangaise, théatres subventionnés. .
I] semble que, depuis troisou quatre années, une réaction en
sens contraire commence a se dessiner. On s’est apercu que,
durant ces mois de chaleur, Paris n’était pas si vide qu’on vou-
lait bien le dire. Sans doute, une bonne partie de la bourgeoisie
parisienne avait émigré, Combien restait-il encore de petites gens,
friands de spectacle, et qui n’allaient pas au théatre pendant l’hi-
ver, parce que les places y étaient trop chéres pour leur maigre
bourse, mais qui seraient ravis d'y passer leur soirée si c’était a
prix réduit? .
a mieux: juillet, aotit et septembre, sont les mois de
vacances pour tout le monde. Les Parisiens quittent leur ville,
mais les provinciaux et les étrangers ‘y affluent. Qui ne sait
que le meilleur mois de recettes pour l’Opéra, c’est précisé-
ment le mois d’aodt. On n’y voit il est vrai que des hommes en
yeston et en chapeau mou, et des robes montantes, mais ce sont
gens qui paient, et c’est 1a l'important pour les directeurs.
A la Comédie-Frangaise, les représentations d’été sont trés
suivies, et pour peu qu’elles offrent 4 ce public spécial d’immi-
grants un attrayant spectacle, on est assuré d’une recette qui
passe la moyenne.
C’étaient 1a des indications. Un détail de vie pratique acheva
de persuader les directeurs. Ce qui éluignait les spectateurs des
théatres en été, c’était la peur d’étouffer dans des salles changées
en étuves. Les voila toutes a cette heure éclairées A la lumiére
électrique qui ne dégage aucune chaleur. Une salle de théatre est
naturellement fraiche le soir, puisqu’elle est par essence fermée
au soleil tout le jour: c’est une cave. Il a fallu bien dutemps pour
convaincre le public de cette vérité. Que de fois j’ai répété dans
lesjournaux (et m’a-t-on assez blagué pour cela!) que les soirs de
juillet, aprés une journée étouffante, on éprouvait, en entrant
dans une salle de théatre, une délicieuse sensation de fraicheur,
Telle étaitla force du préjugé qu’on aimait mieux se moquer de
moi que d’y aller voir. Le fait était vrai, il a bien fallu se rendre,
I ne reste plus maintenant qu’a obtenir des directeurs qwils
substituent aux fauteuils couverts de velours des siéges cannés.
Mais il faudra dix ans pour qu’ils s’avisent de cette réforme si
simple.
Tant y a, qu’un revirement commence a se faire dans les
habitudes des théatres pour la saison d’été. Voyez combien: de
thédtres restent ouverts en ce moment, outre l'Opéra et la
Comédie- Frangaise, la Gaité joue La Poupée; les Folies-
Dramatiques, Le papa de Francine ; les Nouveautés, Le Contré-
leur des sagons-lits; Ambigu-Comique, La bande a Fifi;
Cluny, Un prix Montyon; le Théatre de la République, Jacques
VHonneur.
_ Je vous ferai remarquer que dans tous les théatres que je
viens de nommer, ce sont les directeurs eux-mémes qui conti-
nuent durant ]’été l’exploitation de leur succés d’hiver. IIs croient
donc y avoir avantage. IIs ont naturellement, baissant le prix de
leurs places, réduit leurs frais. Ils se sont arrangés avec leurs
artistes pour les garder autour d’eux aun prix d’été, Quelques-
uns de ces artistes avaient signé des engagements pour les villes
d'eau; les directeurs les ont remplacés aisément. Il vague a
Paris, surtout dans la belle saison, nombre d’acteurs en quéte
d’engagements, qui sont enchantés de s’employer deux mois et
de se produire sur un théatre parisien.
J’ai suivi avec soin tous ces théatres durant ces évolutions,
j'ai été frappé de voir partout des salles trés garnies et parfois
combles, mais surtout des salles animées, des salles qui ne
demandaient qu’a rire ou a pleurer, selon le tour du spectacle.
Il y a donc, a Paris, un public pour les théatres en été, un
public nombreux; plus neuf et plus facile 4 amuser que le public
d’hiver. J] faut rendre graces aux directeurs qui l’ont compris.
Ils donnent a notre bonne ville, en restant ouverts, plus d’ani-
mation et de gaieté. Paris sans théatre, c’est un énorme Car-
pentras. Ils y trouvent aussi leur compte:
« Je garde ma troupe tout l’été, me disait Marx, le directeur
de Cluny, l’année derniére, j’y ai gagné un peu d’argent; cette
année, il est probable que j’en perdrai. Mais cela m’est égal.
C’est que je pourrai, ayant tous mes acteurs sous la main, prépa-
rer,désle mois d’aott, ma piéce de réouverture que j’afficherai le
premier septembre. Ainsi il n’y aura pas de solution decontinuité,
et, de cette fagon, mes artistes tenus toujours en haleine, jouent
avec plus de sireté et plus de verve, se sentent mieux les coudes. »
Outre les théatres qui restent ouverts cet été, de par la volonté
de leurs directeurs, il y ena d’autres ot sont venus s’installer
des directeurs de passage avec des troupes de raccroc. .
Le raisonnement de ces impresarios de rencontre est bien
simple: c’est celui que je viens de vous faire. Il y a a Paris un
public d’été; il ne trouve pas assez de salles ouvertes; ouvrons-
lui en une. Louons pour deux mois un théatre Jaissé libre et
installons-nous-y. Si nous apportons quelque chose de nouveau,
quelque chose qui vaille la peine d’étre vu, si nous le donnonsa
bon marché, la foule y courra. Il peut se faire que nous ne
gagnions pas beaucoup d’argent, & moins que par un hasard
exceptionnel nous ayons mis la main sur le gros lot d'une
piéce 4 succés; mais au moins nous nous serons faits connaitre,
et les artistes que nous emploierons auront repris langue avec
le public parisien.
Cest ainsi qu’al’Athénée-Comique, une troupe s’est installée
qui nous a joud et, ma foi! trés bien joué, trois piéces, dont
Vune n’est qu’un lever de rideau, mais les deux autres ont
beaucoup plu: Honorable, comédie satirique en trois actes et
Collégues, vaudeville en deux actes.
Crest ainsi qu’aux Variétés, les fréres Milliaud renouvelant
une tentative qui leur avait déja réussi, l'année derniére et il y a
deux ans, nous ont conviés a entendre une troupe d’opéra.
Vous vous rappelez l’ancien philosophe qui prouvait le mou-
vement en marchant. Ils ont fait comme lui. Que de fois na-t-
on pas dit et répété: entre lopéra et Vopéra-comique, qui tous
deux s’adressent a la haute bourgeoisie, qui sont des théatres de
richards, oti la musique, le plus cher de tous les bruits, se paie
au poids de l’or, il manque un théatre populaire, ou l’on donne-
rait, a bon marché, des ceuvres faciles a comprendre, des ceuvres
chantantes, qui seraient dans la maniére italienne ou dans la
maniére francaise d’autrefois? On faisait sur le papier de beaux
Projets qui n’aboutissaient pas. Les fréres Milliaud se sont mis
résolument a Pceuvre. Ils ont réuni une troupe qui est assez
bonne, un orchestre tres passable, des cheeurs suffisants ; ils ont
joué de vieux chefs-d’ceuvres comme Lucie et Le Trouvére;
ils ont joué aussi des pidces nouvelles comme Martyre et le
succés leur est venu encore cette fois; et je crois bien que leur
intention est de s’établir 4 demeure et de fonder enfin cet opera
populaire que tout le monde réclame et dont personne ne veut
ou n’ose prendre l’initiative.
, LI faudrait, pour étre complet dans cette revue des théatres
d’été, mentionner les halls, soit fermés, soit en plein air ol Pon
donne des représentations: les Folies-Marigny et l’Olympia
sont les plus célébres parmi les premiers; mais ces théatres ne
touchent 4 l'art que par un coté, le moins important. Les
Ambassadeurs et l’Alcazar d’Eté, comptent au premier rang
parmi les seconds. Aux Ambassadeurs, Mademoiselle Yvette
Guilbert, qui eut jadis un petit grain d’originalité dans le talent;
a Alcazar d’Eté, Polin, qui est un chanteur exquis de chanson~
nettes militaires, brillent sur l’affiche. Mais j'imagine que les
spectateurs de ces Alhambras y viennent plus pour respirer | air
frais du soir et fumer un cigare, que pour y écouter les ineptles
qui s’y débitent.
FRANCISQUE SARCEY.
SIONS ——
]
|
a