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Ee nee
eke
LA QUINZAINE THEATRALE
Foict la période favorable & lexotisme et ausst
aux théatres dits « & coté ». Les théatres régu-
liers ayant fermé leurs portes, leurs directeurs
ne demandent pas micux, moyennant loyer,
que d’en livrer la sctne A quelque exploitation
temporaire, en vertu de l’axiome bien connu:
ee « Ce qui est bon a prendre est bona garder... »
Chez nous, il faut en convenir, l’exotisme a peu de chances
de réussir. Le public francais n’est pas tres curieux du spectacle,
si suggestif soit-il, qui lui est offert dans une langue qu il ne
comprend pas, et il y a une certaine hardiesse a cn risquer len-
treprise. Cette année le thédtre exotique a consisté en une
excellente troupe anglaise présentée, avec son matériel, par le
célébre impresario Ch. Frohmann. Je dis « célébre », car }
me semble bien que Frohmann est connu dans le monde enter.
La-bas, de lautre cété de PAtlantique, dans cette République
des Etats-Unis, ot chacun est le roi de quelque chose, on peut
dire quwil est, lui, le « Roi du théatre ». Il n’en dirige pas moins
de soixante-dix ! — oui, vous entendez bien : soixante-dix
théatres, pas un de moins. « Soixante » en Amérique (sept, Je
crois, dans la seule ville de New-York), et « dix » en Angleterre.
Ca vous donne le vertige! — « Comment est-ce possible ? » ma
dit un directeur de Paris, qui déja a bien du mal a en diriger un
scul. Je ne sais si c’est possible, mais cela est, et Frohmann vient
habilement & bout de son effrayant attelage, puisque tous ses
théatres sont prospéres. .
Donc, limpresario a loué le Vaudeville pour une série de
représentations et nous a fait connaitre Peter-Pan, ou le Petit
Garcon qui ne veut pas grandir, une pitce enfantine de Barrie,
qui se joue en Angleterre depuis deux ans, sans interruption, tout
comme un vulgaire Tire-au-flanc ; ct en Amérique depuis plus
Jongtemps encore. Si la piéce avait été traduite et adaptée en fran-
cais, je crois quelle aurait eu un certain succés, sans doute, mais
pas dans des proportions pareilles, parce que celles-ci dépassent
notre portée. Maintenant, vous me demanderez sans doute, pour-
quoi le petit Peter-Pan «ne veut pas grandir» ? O mon Dieu, c'est
bien simple, parce quwil estime que l’enfance est la période la plus
heureuse de la vie, que celle-ci s'y accomplit dans une série de
doux réves naifs, et que la sagesse serait de s’en tenir 14. Vous
yoyez qu'il ne raisonne pas si mal le petit philosophe Peter. Et,
comme il est bon diable, il veut associer & son bonheur les
petits Dearling, le bébé Mikaél, le gargon John et la gentille,
oh! combien gentille, Wendy. C’est donc avec ces trois com-
pagnons quwil va courir les aventures. Et quelles ayentures,
grands dieux ! et combien compliquées ! On y rencontre des cor-
saires, des Peaux-Rouges, des loups, voire un crocodile éton-
nant, qui, ayant avalé un réveil, sonne les heures et les quarts.
Et cest une série d’incidents inouis, de poursuites vertigineuses,
d’envolées dans les airs, de tempétes et d’ouragans dans les eaux.
Jusqu’au moment ot les petits Dearling, auxquels manquent les
caresses maternelles, rentrent au logis, parce que ne pas grandir
c'est bon, mais retrouver les baisers de sa maman, c’est peut-étre
meilleur encore! Et, entre nous, je crois qu'il aura beau faire et
beau dire le petit Peter, il viendra bien un moment ot il fera
comme les autres. Quand il verra grandir la gentille Wendy,
quwil aime sans y croire, il voudra faire comme elle, et c'est
grace & l'amour qu'il troquera les réves d’enfance pour les illu-
sions de la vie... Hélas! il ne gagnera pas au change.
Cette piéce, bien anglaise dans ses combinaisons, et qui ason
parfum de terroir, est un exquis conte bleu, bien fait pour divertir
les enfants, grands et petits. Elle est d'une fantaisie élégante,
avec la pointe de philosophie nécessaire, d’ot nait une douceur
mélancolique qui donne au rire le relais pour.se reprendre,
Crest, d’ailleurs, joué avec un merveilleux ensemble, par des
acteurs d'une verve, d'une souplesse étonnantes, etj dune origi-
nalité trés personnelle. Sur cet ensemble que je ne saurais trop
louer car chacun y donne sa note sans marchander, se détache
une délicieuse comédienne, jolie, comme toutes les Anglaises
quand elles s‘en mélent, fine, délicate, charmante, dans I’éclat
d'une fraiche jeunesse, avec des yeux d’une saisissante expres-
sion et une voix qui module a son gré, Miss Pauline Chase qui
est, dit-on, la coqueluche de l'Angleterre et de l’Amérique. Et
comme l’Angleterre ct Amérique ont raison! C'est elle qui est
le petit Peter-Pan. Elle en compose le personnage avec une
élégante fantaisie, une émotion délicate, ott Ja sentimentalité
s'égaic d'un frais sourire. La toute mignonne Miss Trivelyan lui
donne une délicieuse réplique.
Ils sont, d'ailleurs, tres intéressants les comédiens anglais qui
interprétent la piéce, si souples dans leur jeu qu’on dirait que
chacun d’eux se double d’un clown : « Avez-vous remarqué,— m'a
dit un philosophe de mes amis — comme le jeu des divers comé-
diens est en quelque sorte le reflet du caractére national? Ainsi,
il y a du sport dans le jeu des Anglais, de la conscience et de la
fantaisie nébuleuse. Les comédiens italiens sont violents, agités;
ils gesticulent et manquent de sang-froid, mais quelle intensité
dans leur expression 3 tandis que les Espagnols sont plutot
sérieux et compassés, presque héroiques ; et les Allemands,
réveurs, philosophiques, réalistes jusqu’a l’outrance, mélancoli-
ques, et de grande sincérité. » — Et les comédiens frangais? lui
ai-je dit: — « Oh! ceux-la, m’a-t-il répondu, ils sont surtout
malins, habiles, trés rompus a leur art, gens d’expédients et de
métier, tres préoccupés de effet qu’ils peuvent produire, et sur-
tout hypnotisés par Vargent... Pour eux la question « cachet »
domine toutes les autres... » Puis il ajouta, en souriant: « Aprés
cela, comme disait le vieux sous-officier : « Chacun se bat pour
« ce qui lui manque! » C’est une vérité aussi concluante au
théatre qu’a la guerre! »
Si l'exotisme fut représenté par la troupe anglaise, le théatre
a coié le fut, lui, par une intéressante représentation donnée par
l’Action francaise sur la scéne du théatre des Arts — ci-devant
des Batignolles — avec une piéce que Jules Lemaitre a délicate-
ment extraite du roman de la Princesse de Cléves, de Madame
de la Fayette, celle dont Boileau disait : « C’est la femme de
France quia le plus d’esprit et qui écrit le mieux... » La Prin-
cesse de Cleves, un peu négligée aujourd'hui, est un des premiers
romans psychologiques — le premier peut-étre — dont nous
ayons connaissance. Ce fut, & son apparition, grande hardiesse
et grande nouveauté. Le terrain était vierge, lors de cette pre-
miére tentative de défrichement. Depuis, il faut avouer qu'il a
é cultivé jusqu’a la satiété de Yennui, par une foule incohé-
rente de laboureurs. Au temps de Madame de la Fayette, qui est
aussi celui de Madame de Sévigné, Veffet fut considérable, et la
scone ot cette honnéte femme qu’est la princesse, fait aveu 4 son
mari, qu'elle estime, de l’amour dont elle se sent envahie pour
un autre et l’appelle & son secours contre elle-méme, cette scéne,
dis-je, parut étre plus que dela hardiesse, dela témérité, Bussy a
méme dit de Il’ « eatravagance ». Aujourd’hui, elle va toute seule,
passe comme une lettre a la poste — si toutefois on peut se servir,
de nos jours, de cette expression proverbiale que ne justifie
plus notre service postal, plutot irrégulier — la représenta-
tion de la pitce de Jules Lemaitre fut honorable, mais rien
plus. En ces sortes occasions, Vinterprétation faite de comé-
diens pris un peu partout, au hasard, qui ne se sentent pas les
coudes et ne sont pas accoutumés & jouer ensemble, est presque
toujours défectueuse. Ici elle fut passable, 4 peu prés suffisante,
cest encore, a tout prendre, mieux que médiocre. Il ne faut pas
issait ici d’un théatre d’occasion.
trop se plaindre, puisqwil s'agi
FELIX DUQUESNEL.
Dans un article paru dans notre premier numéro de mai
(ne 225) et consacré & La Revanche de Pierrot, piéce en vers
représentée au Little-Palace, notre collaborateur Manfred a, de
la meilleure foi du monde, indiqué que cet acte était de
M. Homolle-Delys seul. .
La piéce serait due — au moins, & ce que nous apprend une
signification récente — a la collaboration de MM.. Homolle-
Delys et Lucien Weill..Nous ne faisons aucune difficulté pour
le faire savoir & nos lecteurs, en donnant ainsi a ce dernier
auteur la satisfaction & laquelle il a droit.
N. D. L. D.