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iT ma nn le
des Répétitions générales
cents représentations..., etc., ctc. » Et les mémes gens, tandis
que les critiques se rendaient 4 leur cabinet pour travailler
silencieusement, se répandaient dans la ville, distribuant l’éloge
ou le blame, élevant ou abaissant les réputations. s’érigeant en
une sorte de tribunal irresponsable — autant qu'incompérent.
Les directeurs et les auteurs se sont apercus alors qu’ils
. avaient fait fausse route. La saison théatrale derniére ayant
* été plus fertile en « fours » qu’en succes, ils ne se sont pas
demandé s’ils n’y étaient pas eux-mémes pour quelque chose,
, A propos
r monde qui s’agite autour des théatres, directeurs, autcurs
dramatiques, critiques, est en émoi : les répétitions géné-
rales sont supprimées. Lorsque la nouvelle fut annoncée,
' il y a quelques jours, les discussions s’engagérent, les
i 7 polémiques s’entre-croisérent, les interviews s’amoncelérent: ce
fut un assourdissant charivari.
] Or, qu’est-ce qu’une répétition générale ?
RI La répétition générale est la dernitre répétition qui précéde et ils ont déclaré : « Le mal vient des tépétitions générales
ye la premiére représentation. Elle a lieu dans les mémes condi- publiques. » Possible. Mais, qui les priait d'y inviter tous ces
oisifs et tous ces inutiles dont ils encombraient leurs salles ?
tions que celle-ci, dans les décors et avec les costumes défini- : 3 |
Libre & eux, certainement, de ne plus Jes y admettre. Quoique,
tifs. L’auteur et le directeur du théatre ne sont plus assis
‘ sur le plateau, dans le « petit guignol », dod ils ont suivi les
répétitions précédentes. Ils sont dans la salle, d’oti ils jugent,
comme de simples spectateurs, l'ceuvre quils offriront, le lende-
main, au public.
Ici se place l’intervention de la presse, et, en particulier, de
la critique dramatique. Ily a trente et quelques années, avant la
guerre de 1870, les journaux n’étaient pas nombreux. Les cri-
tiques dramatiques rendaient compte des pieces jouées dans un
feuilleton hebdomadaire, le lundi : d’ou le nom de « lundistes »
qui leur fut attribué. Il y avait a peine trois ou quatre grands
journaux du matin qui donnaient, dés le lendemain de la pre-
mitre représentation, le compte rendu de celle-ci. Comme il
nest guére possible de demander A un critique qui sort & minuit
et demi d’une premiére représentation, de livrer a 'impression,
pour une heure et demie du matin, heure derniére, un compte
rendu d’une piéce importante, voici ce qui se passait : auteur
communiquait, quelques jours auparavant, son manuscrit aux
deux ou trois critiques du lendemain. Les critiques en prenaient
connaissance, préparaient leur travail et venaient ensuite consta-
ter, 2 la premiére représentation, le sentiment du public, de
facon A modifier leurs conclusions, s‘ils le jugeaient conve-
cependant, certains auteurs affirment quils préferent encore une
salle « mal » remplie 4 une salle presque vide, Une piéce
sérieuse peut étre représentée devant un tres petit nombre de
personnes bien choisies: écoutée avec une plus grande attention,
elle produira d’autant mieux leffet cherché. Mais un vaude-
ville aux péripéties saugrenues, un mélodrame bondé d’événe-
ments et d’incidents pathétiques, ne leur faut-il pas le contact
de la foule ?
Quoi quwil en soit, les directeurs, d’accord avec la Société des
Auteurs dramatiques, ne se contenteront pas de fermer leurs
répétitions au mauvais public qu’ils y conviaient : ils les inter-
diront aussi aux critiques, « ces pelés, ces galeux, d’ot vient tout
Je mal ». Ici, les critiques se regimbent et ils disent: « Ouvrez
ou fermez peu ou prou vos répétitions générales, cela ne nous
regarde pas. C’est votre affaire. Mais laissez-nous la faculté d’as-
sister A la derniére répétition qui précéde votre premiére repré-
sentation, afin que nous puissions faire un compte rendu sérieux
et étudié, digne des auteurs dont nous parlons, des journaux qui
nous emploient, du public qui nous lit et qui est le dernier, le
vrai juge. » A quoi les directeurs de répliquer : « Quelle nécessité
vous force de faire votre compte rendu dés le lendemain de la
te
: nable. premiere représentation? Remettez-le au surlendemain; réta-
a Apres la guerre, la liberté absolue de la presse a favorisé blissez les « lundistes. » Et les critiques de répondre : « Le ;
«J Péclosion d'un grand nombre de journaux, du matin particulie- compte rendu du surlendemain! Mais déja le public voudrait
' rement, qui ont voulu, comme leurs confréres, donner, dés le Vavoir Ja «veille» de Ja premiére représentation! Aucun journal
pe lendemain, le compte rendu complet de la premiére représentation — du matin ne consentira a cette remise. Et alors, vous nous for-
+ bg apn
de la veille. Il n’était plus possible de communiquer un. manus-
crit Atrente ou quarante personnes. On admit alors, la der-
niére répétition d’ensemble ou répétition générale, les critiques
autorisés. Aprés cette répétition, auteur avait toujours le droit
et la faculié d’apporter a sa piéce les moditications qui lui sem-
blaient nécessaires ou utiles, et que les critiques, revenant a la
premiére représentation, pouvaient remarquer.
Un certain nombre d’auteurs et de directeurs estimérent que
ces répétitions trés restreintes demeuraient « froides », que sou-
vent les mots spirituels tombaient dans le vide, que les situa-
tions les plus pathétiques passaient inapercgues, que les critiques
n’avaient pas autour d’eux un public suffisant pour juger de
limpression réelle que l’ceuvre devait produire sur des specta-
teurs rassemblés. Ils décidérent done d'ouvrir la répétition
générale & un public nombreux. « I] faut, disaient-ils, noyer la
critique. »
On vit alors arriver aux répétitions générales, en dehors des
trente ou quarante critiques, chiffre maximum, et aux quinze
cents autres places, un flot d’invités inattendus: des actionnaires
des théatres, des créanciers, des boursiers, des coulissiers, des
députés, des sénateurs, des acteurs et des actrices en’ rupture
dengagement, des auteurs en mal de piéces, des commissaires
de police, des officiers de pompiers, des cocottes, vieilles ou
jeunes, vieilles plutdt, des fournisseurs, des costumiers, des
tailleurs, des coiffeurs, des bottiers. Tout ce monde bizarre et
incohérent, se trouvant invité en méme temps que les critiques,
se crut appelé également a « faire de Ja critique ». I] fallait voir
les airs entendus que, dans les couloirs, pendant les entr’actes,
prenaient ces invités, tandis que les critiques demeuraient silen-
cieux et réservés : « Est-ce beau! — Est-ce toc! — C'est admi-
rable! — C’est au-dessous de tout. — I] est vidé.— Elle est hor-
rible. — Cela ne fera pas trois sous. — C’est la faillite. — Six
cerez & faire des comptes rendus hatifs, baclés, écourtés. Qui y
perdra ? Vous autres, les auteurs et les directeurs. Quant a réta-
blir le feuilleton du lundi, chimére! Il n’existe plus que dans
deux journaux du soir, le Temps et les Débats, qui, néanmoins
et en plus, ont institué une bréve notule qui parait, pour donner
une premiére indication au public, dés le Jendemain de la
premiére représentation. » Les directeurs et les auteurs n’ont
rien voulu entendre.
Telle est, bri¢vement et impartialement exposée, la question
des « répétitions générales ». I] est arrivé souvent que des pitces
qui réussissaient & la répétition générale ne trouvaient pas le
méme accueil A Ja premiére représentation. Les auteurs et les
directeurs, dont la presse faisait I’éloge, ne se plaignaient pas,
ces jours-la. D’autres fois, la répétition générale fut d'un effet
médiocre, tandis que la premiére représentation marchait & sou-
hait: dans ce cas, la presse ayant été moins louangeuse, les
auteurs et les directeurs se lamentaient 4 lenvi. Le hasard,
comme le temps, est « un grand maitre », Aussi bien, le public
s’est peu a peu habitué a se faire son opinion lui-méme : c'est a
la suite des conversations échangées, autant qu’aprés la lecture
des journaux, qu’il se décide a favoriser ou abandonner tel ou
tel spectacle. Les mauvaises piéces tomberont tout de méme,
Comment! les auteurs de romans et de livres se plaignent, a
juste raison, de la disparition presque complete de la critique
littéraire. Et voici que les auteurs dramatiques et les directeurs
de théatre, qui jouissent, dans les journaux, du traitement de
la nation la plus favorisée, veulent y renoncer! Ils songent a
entraver, bien plus, 4 détruire les critiques, qui, pour la plus petite
ceuvre, y vont de leur article!,.. Quel aveuglement et quelle
folie!
ADOLPHE ADERER.